“Do progresso ao pacto social, as pistas
para sair da crise de civilização” − com este título, o diário
francês “Le Monde” publica hoje um
estimulante diálogo entre o reputado filósofo e sociólogo francês Edgar Morin e
o candidato presidencial socialista François Hollande.
No
seio de um pequeno texto introdutório,
diz a certa altura o jornalista Nicolas
Truong : “ O candidato que quer ser “um
presidente normal” e o filósofo da
“desmesura”, o socialista da “síntese”
e o sociólogo da”complexidade”no âmago
da campanha. A ideia consistia em pôr em confronto a visão de ambos quanto à esquerda,
o progresso e a nova desordem mundial.
Porque
a crise que vivemos é para Edgar Morin uma crise de civilização. São os próprios
alicerces dos seus valores e crenças que vacilam nas suas fundações. Porque o
Ocidente durante demasiado tempo quis separar, compartimentar e dividir as ciências
e as disciplinas tal como os problemas económicos e sociais. Só um pensamento
político capaz de unir, de “tecer
conjuntamente o que está separado”, será capaz de estar á altura da era
planetária.”
Eis o diálogo que travaram entre si, Morin e
Hollande:
Quelle est votre conception de la gauche ?
Edgar Morin : Il s'agit pour moi de
revenir à ces trois sources du XIX
e siècle,
libertaire, socialiste et communiste, qui se sont séparées et combattues dans
l'Histoire. L'idée communiste s'est dégradée dans sa version stalinienne et
maoïste ; la sociale-démocratie s'est asséchée ; quant au libertarisme, il
reste isolé, mis à part au sein d'une frange de la gauche radicale.
Aujourd'hui, il faut régénérer ces trois courants et les
relier pour
oeuvrer à la fois à l'épanouissement des individus, à une
société meilleure et à la fraternité. J'ajouterais une quatrième source, plus
récente, qui est écologique : notre
devenir nécessite un effort pour
sauvegarder à la fois la nature et notre propre nature
humaine.
François Hollande :
Ces trois
sources ont en effet connu des remous, parfois des assèchements, mais elles
restent vives. La famille socialiste a plus de responsabilités encore
qu'au XIX
e siècle, parce qu'elle s'est confrontée à l'exercice du
pouvoir. Elle s'est renforcée par la volonté d'
accomplir sa promesse au sommet de l'Etat, mais aussi au
sein des collectivités locales. La gauche doit se
donner pour ligne d'horizon l'accomplissement du dessein
républicain, mais elle doit aussi réussir une reconquête :
faire que la démocratie redevienne plus forte que les
marchés, que la politique reprenne le contrôle de la finance et maîtrise la
mondialisation.
La gauche doit
ouvrir la voie,
imaginer des politiques nouvelles. Le progrès est possible,
l'
avenir peut encore être une source d'accomplissement pour
les générations à
venir.
L'humanité
reste en marche.
Nous devons être dans l'évocation de notre histoire et dans l'invention de
notre futur. C'est dans cette perspective historique que j'inscris mon projet
présidentiel : je veux être un continuateur et un rénovateur.
Abolition de la
peine de mort et essor des yuppies, prix unique du livre et triomphe de Bernard Tapie, le mitterrandisme a-t-il éclairé
ou plombé la gauche ?
E. M. : Le mitterrandisme a été porté par
un grand élan d'espérance. Il a engagé de grandes réformes, comme l'abolition
de la peine de mort ou les lois Auroux, mais son bilan est ambivalent. Il
faut
tenir compte de ses faiblesses, de ses échecs et de ses
insuffisances. Quel bilan faites-vous, François Hollande, de la gauche au
pouvoir ? A
partir de 1981, elle a certes accompli des réformes
importantes, mais n'a-t-elle pas aussi converti la société française au
néolibéralisme, ce qui a favorisé le développement du capitalisme financier que
vous dénoncez ?
Le Front populaire, par exemple, a été un moment magnifique, mais ce
gouvernement n'a pas eu le courage ou l'énergie d'
intervenir en
Espagne,
ce qui aurait peut-être pu
stopper l'essor du nazisme.
F. H. : Ne soyons pas trop sévères envers la gauche des
années 1980 : elle a permis de
moderniser notre pays, de l'
adapter, d'opérer des mutations qui ont vaincu l'inflation
et rétabli la croissance. Grâce à elle, la France a tenu son rang. Mais il est
vrai que la gauche a ensuite été happée par une construction européenne conçue
davantage comme un grand marché que comme un grand projet. Et il est vrai aussi
que cette
Europe-là a fini par
représenter le libéralisme aux yeux des citoyens. La gauche a payé cette
erreur, elle a corrigé le tir.
La gauche doit
porter de grands espoirs, mais elle ne peut pas se réduire
à de grands moments.
Sa
vocation n'est pas d'intervenir tous les vingt ans pour faire des réformes. Je veux au
contraire
inscrire la gauche dans la durée. Je ne suis pas candidat
pour écarter la droite,
introduire quelques innovations politiques et sociales, et
ensuite
laisser la place. Je veux
initier une transformation de la société à long terme qui
puisse
convaincre au-delà même de la gauche.
Ma responsabilité est d'être le président de la sortie de crise. Cela
suppose une transition économique, énergétique, écologique, générationnelle
aussi, qui permette à la jeunesse d'
accomplir son propre destin. A chaque époque, la gauche
doit
savoir pourquoi elle combat. C'est pour
permettre ce passage d'une société à une autre, d'une
époque à une autre. Pour
permettre à la France d'
entrer dans le XXI
e siècle.
E.M. : Ne serait-ce pas plutôt une transition entre un
monde ancien et un monde nouveau, entre une logique politique qui rend aveugle
et défaillant et une nouvelle logique politique ?
F.H. : Si, c'est ce que je viens d'
indiquer. Cette nouvelle logique politique consiste
précisément à œuvrer pour une transition conjointe dans tous ces domaines. Non
pas
isoler les problèmes mais
voir et
savoir qu'ils doivent être traités ensemble.
Tisser des liens.
Croiser les approches.
Penser la complexité, pour
reprendre un mot qui vous est cher. Pour cela, il est nécessaire
d'
avoir une vue à long terme et un modèle de gouvernement
durable.
La gauche doit-elle renouer avec l'idée de progrès et de croissance ou bien
s'en méfier ?
E. M. : Depuis Condorcet, le progrès était conçu comme une
loi automatique de l'Histoire. Cette conception est morte. On ne peut pas non
plus considérer le progrès comme le wagon tiré par la locomotive
techno-économique. Il s'agit de croire au progrès d'une façon nouvelle,
non comme une mécanique inévitable mais comme un effort de la volonté et de la
conscience. Le progrès a souvent été assimilé à la technique, au
développement économique, à la croissance, dans une conception quantitative des
réalités humaines. Face à la crise de la croissance, aux nuisances et
catastrophes engendrées par le développement techno-scientifique ou aux excès
du consumérisme, ne faut-il pas
rompre avec le mythe de la croissance à l'infini ?
L'exemple du
Japon montre qu'un pays
développé n'a eu qu'une croissance de 1 % avant la crise.
Mais surtout il faut dépasser l'alternative stérile croissance/ décroissance
et
promouvoir la croissance de l'économie verte, de l'économie
sociale et solidaire... Et en même temps
faire décroître l'économie des produits futiles, aux effets
illusoires, mais vantés par la publicité,
faire décroître l'économie des produits jetables ou dont
l'obsolescence est programmée,
supprimer les prédations des intermédiaires comme les
supermarchés qui imposent des prix très bas aux producteurs et des prix élevés
aux consommateurs.
Promouvoir les circuits courts...
F. H. : Le progrès n'est plus une idéologie.
Mais c'est une idée encore féconde. Je suis un militant du progrès. L'action
politique doit permettre à l'humanité d'avancer et à l'individu d'espérer un sort
meilleur. Je réfute toutes les
idées
qui mettent en cause le progrès scientifique, social et écologique. Pour autant,
on ne peut plus
croire à l'automaticité de la croissance, à une mécanique
qui conduirait, par les forces du marché ou au contraire par l'intervention de
l'Etat, à une amélioration du
pouvoir d'achat ou de la qualité de la vie. Rousseau nous
l'a appris : il n'y a pas d'équivalence entre progrès technique et progrès moral,
entre progrès économique et progrès humain.
Nous devons nous battre pour un progrès humain, solidaire,
mondial.
C'est là qu'intervient la
distinction entre le marchand et le non-marchand - tout ce qui ne peut pas être
réduit à l'échange et à la valorisation. Le rôle de la gauche est de veiller à ce que le marchand soit efficace
et compétitif, mais aussi de développer le non-marchand. Quant à
l'opposition croissance/ décroissance, je suis pour un niveau plus élevé de
croissance, même si nous savons bien que la tendance pour les dix prochaines
années est au mieux de
retrouver 2 ou 2,5 points de croissance, c'est-à-dire la
moitié de ce que nous avons connu pendant les "trente glorieuses" et
un tiers de ce que nous avons pu connaître en 1974. D'où l'importance de
donner à cette croissance un contenu en emplois, en
activité, en richesse, en écologie surtout.
Il y a aussi des secteurs qui doivent décroître parce qu'ils sont source de
gaspillage. La technologie peut nous y
aider.
Lutter contre ce qui nuit à la santé est un facteur de
réduction de nos dépenses collectives, donc une recette supplémentaire pour
financer d'autres recettes de solidarité. La sobriété n'est
pas le contraire de la prospérité. Ce n'est pas une spoliation, mais une
liberté que nous devons
offrir à chacun.
Faut-il accroître la mondialisation ou bien amorcer une démondialisation ?
E. M. : La concurrence est une chose naturelle mais la
compétitivité amène les
entreprises
à
remplacer les travailleurs par des machines, à les
opprimer par des contraintes. L'exploitation économique
contre laquelle luttaient les syndicats a été supplémentée par une aliénation
aux normes de productivité et d'efficacité. Il faudrait donc une politique de
l'humanisation de l'économie déshumanisée. Il faut par ailleurs
reprendre un contrôle humain, éthique et politique sur la
science. S'agissant de la mondialisation, on peut certes se féliciter que des
pays que l'on appelait sous-développés enregistrent une amélioration de leur
niveau de vie et, en cela, les délocalisations ont pu
jouer un rôle utile.
Mais, face à l'excès de la délocalisation et à la désertification de notre
industrie, il y a des mesures de
protection à
prendre. Aussi faut-il à la fois
mondialiser et démondialiser,
continuer tout ce que la mondialisation apporte de
coopération, d'échanges fructueux, de cultures et de destin commun, mais
sauver les terroirs,
retrouver les agricultures vivrières,
sauvegarder les autonomies. Il faut
prendre position au-delà de l'alternative mondialisation/
démondialisation.
F. H. : Ce sont des débats qui ont déjà scandé la vie
politique et économique.
Ils
se posent dans des conditions nouvelles : les techniques évoluent, le
capitalisme lui-même connaît une mutation, mais ce sont toujours les mêmes
interrogations et les mêmes défis. Le rôle du politique est de
déterminer les limites et les enjeux du progrès scientifique. L'éthique n'est
pas fondée uniquement sur des convictions personnelles : nous devons
définir ensemble ce qui est possible et ce qui ne l'est pas. Cette délibération
ne doit pas être confiée à une élite mais à l'ensemble des citoyens.
La mondialisation n'est pas
une loi de la physique ! C'est une construction politique. Ce que des
hommes ont décidé et construit, d'autres hommes peuvent le changer. Le politique doit intervenir pour lutter contre l'économie de casino et la
spéculation financière, pour préserver la dignité du travailleur et fonder la concurrence sur des normes
environnementales et sociales.
Le travail n'est pas une
valeur de droite, mais une valeur citoyenne : le droit au travail est
d'ailleurs reconnu dans la Constitution, il garantit un revenu, une place dans
la société, une relation à autrui.
La période que nous vivons est celle de l'excès : excès des rémunérations,
des profits, de la misère, des inégalités. Le rôle du politique, c'est de
lutter contre les excès, les risques, les menaces et de
réduire les incertitudes.
Nous
avons besoin d'humanisation, sinon nous perdrons le sens de ce pour quoi nous
produisons, échangeons, commerçons. Nous avons aussi besoin d'unité, de
nous
retrouver autour de grandes valeurs, mais cette unité ne
doit pas écraser la diversité. Il s'agit d'être justes, de
faire preuve à la fois de
justice et de justesse. Nous devons à
la fois
inspirer la confiance et
donner confiance aux citoyens dans leurs propres capacités.
Edgar Morin, vous suggérez aux candidats d'inscrire dans la Constitution que "la France est une
république une, indivisible, mais aussi multiculturelle". Pour quelles
raisons ?
E. M. : La France est une réalité multiculturelle :
Basques, Flamands, Alsaciens sont ethniquement hétérogènes ; dans un processus
historique de francisation, ils sont devenus français.
Dire que la France est une, indivisible et multiculturelle,
c'est reconnaître une réalité où l'unité empêche le communautarisme et renforce
l'attachement de ceux qui viennent d'ailleurs, mais qui reconnaît la diversité
féconde des cultures que nous intégrons. Je ne parle pas seulement des immigrés
mais aussi des Antillais, des Réunionais, qui veulent qu'on reconnaisse leur
spécificité.
Vous êtes attaché aux
symboles. Ainsi pourrait-on inscrire dans notre Constitution que la France est une
république laïque, une, indivisible et multiculturelle, ce qui affirmerait une
réalité de fait qui doit échapper et à l'homogénéisation qui ignore les
diversités (IIIe République) et au communautarisme qui désunit. N'est-ce
pas la reconnaissance de l'autre à la fois dans sa différence et sa
ressemblance qui fait de plus en plus défaut et qui nous conduit vers la
désunion ?
F. H. : La France s'est constituée par des intégrations
successives, d'abord de ses provinces puis de ces populations venues
enrichir la nation. C'est ce qui faisait écrire à Fernand
Braudel que
"la France se nomme diversité". Néanmoins, le
mot de multiculturalisme crée des ambiguïtés et laisserait
penser que nous sommes une société où il n'y aurait plus de
références communes. Il ne s'agit pas d'effacement ou d'indifférence à l'égard
des origines diverses mais de
faire en sorte que les Français se reconnaissent dans la
République. Je préfère
renforcer la laïcité dans la Constitution, parce qu'elle
est un grand principe de liberté - tous les citoyens, toutes les
religions sont traités de la même
manière - et de fraternité - la laïcité nous permet de
vivre tous ensemble, avec les mêmes droits et les mêmes
devoirs.
E.M. : Après le drame de Montauban et de Toulouse, ne
faudrait-il pas
organiser la tenue d'un meeting géant avec des Français de
toutes origines, dont créoles, ashkénazes, séfarades, arabes et berbères
maghrébins, africains français, qui serait comme la répétition 2012 du 14
juillet 1790 où les délégations venues de toutes les provinces (véritables
ethnies culturelles alors) sont venues
proclamer :
"Nous voulons faire partie de la grande nation" ?
F.H. : Le meeting que vous décrivez là, j'en ai fait
plusieurs dizaines depuis des mois ! Le rassemblement des Français ne doit
pas être lié à un événement particulier, c'est un combat de tous les instants.
C'est mon projet :
rassembler les Français pour
redresser la France. Et le
faire dans la justice.
Ne croyez-vous pas que, dans les conditions actuelles d'une crise
sans précédent, ce n'est pas une présidence "normale" qu'il nous
faudrait, mais une "présidence de salut public", comme vous y enjoint
Edgar Morin ?
F. H. : Qu'ai-je voulu
dire par cette formule ? Que je veux être proche de mes
concitoyens,
retrouver de l'harmonie et de l'apaisement. Mais cette
démarche doit être au service d'une grande cause. Il faut
lutter contre le fatalisme qui conduit soit à la colère,
soit à la résignation.
Nous devons
nous dépasser collectivement et individuellement. Or, pour y parvenir, nous devons être en confiance. Nous
vivons dans l'immédiateté, notre horizon va rarement au-delà de la fin de mois.
Le rôle du politique, c'est de
remettre une vision longue permettant un
dépassement. Le candidat normal doit avoir l'esprit de salut public ! Avoir l'esprit de salut public, c'est se départir de nos
intérêts privés et catégoriels,
mettre la jeunesse au coeur de nos choix,
promouvoir une transition et une élévation spirituelle du
pays.
E. M. : La crise que nous vivons n'est pas seulement
économique, c'est une crise de civilisation. Un président doit être capable d'
indiquer les directions de salut public, pour que la France
retrouve son rôle d'éclaireur. On ne peut rétablir confiance et espérance que
si l'on indique une voie nouvelle : pas seulement la promesse de
sortir de la crise, mais de
changer la logique dominante. Par une confluence de
réformes multiples, il faut
remettre la France en mouvement,
faire confiance aux capacités créatrices des citoyens. Je
souhaiterais que le candidat réponde à ce que disait Beethoven, dans son
dernier quatuor :
"Muss es sein ? Es muss sein." Est-ce possible ? Oui, il faut montrer que c'est possible.
F. H. : Non seulement je dis que cela est
possible, non seulement je veux montrer que cela est possible, mais je vais
le faire !
Quelle grande
politique économique pourrait accompagner cette politique de civilisation ?
E. M. : Une grande politique économique
comporterait selon moi la suppression de la toute-puissance de la finance
spéculative tout en sauvegardant le caractère concurrentiel du marché ; comme
je l'ai dit, le dépassement de l'alternative croissance/décroissance en
déterminant ce qui doit croître : une économie plurielle, comportant le
développement d'une économie verte, de l'économie sociale et solidaire, du
commerce équitable, de l'économie de convivialité, de l'agriculture
fermière et biologique, de l'entreprise citoyenne. Mais aussi ce qui doit
décroître : l'économie créatrice de besoins artificiels, du futile, du jetable,
du nuisible, du gaspillage, du destructeur. Ne faut-il pas envisager une grande politique de la consommation,
qui inciterait les consommateurs à s'éclairer sur les produits et mènerait une
action éducative sur les intoxications et addictions
consuméristes, ce qui, favorisant la qualité des produits, favoriserait la
qualité de la vie et la santé des personnes ? Ne faudrait-il pas prohiber les multiples produits soit
jetables soit à obsolescence programmée, ce qui favoriserait les artisanats de
réparation ? Ne faut-il pas envisager une grande politique de
réhumanisation des villes qui veillerait à opérer la déségrégation sociale, à ceinturer les villes-parkings pour y favoriser les transports
publics et la piétonisation, et favoriser la réinstallation des commerces de
proximité ? Une nouvelle politique de la France rurale ne devrait-elle pas être
promue, qui ferait régresser l'agriculture et l'élevage industrialisés devenant
nocifs pour les sols, les eaux, les consommateurs, et progresser l'agriculture fermière et bio ?
Elle revitaliserait les campagnes en les repeuplant d'une nouvelle paysannerie,
en y réimplantant bureaux de poste et dispensaires locaux, et elle inciterait à
réinstaller dans les villages boulangeries-épiceries-buvettes. Elle instaurerait
l'autonomie vivrière dont nous aurons besoin en cas de grave crise
internationale.
F. H. : Il y a dans vos propos de nombreux points qui font
écho à ce que je propose dans mon programme. Quand je dis que mon adversaire,
c'est la finance, je ne parle pas bien sûr des instruments financiers qui
permettent de
financer l'économie, d'
accueillir l'épargne, de
financer l'investissement des entreprises. Je parle de la
finance folle et débridée, spéculative, qui s'est autonomisée et déconnectée de
l'économie réelle. La finance qui se sert de l'économie au lieu de la
servir. Il faut donc
reconnecter la finance à l'économie réelle. L'idéologie
libérale a été hégémonique. Pourtant, nous en avons vu les limites, les
dangers, les échecs.
C'est
cette idéologie qui est archaïque, dépassée. Une nouvelle voie doit s'imposer. Il est de la responsabilité
de la gauche de
porter cette nouvelle exigence.
Vous parlez de la question de la consommation. Je vais
prendre un exemple : en faisant la transition énergétique,
nous construirons la France de l'
avenir. Cette transition n'est pas indépendante d'un
véritable projet de société. La réduction de la part du
nucléaire - et non pas son abandon
comme la droite cherche à le
faire croire en mentant -, le développement parallèle des
énergies renouvelables, la rénovation de l'habitat, toutes ces initiatives
doivent nous
permettre de bâtir une société de la sobriété et de
l'efficacité énergétiques.
C'est
une nécessité environnementale, mais aussi une chance sociale et industrielle.
C'est également un signal fort : nous maîtriserons mieux la consommation, nous
réduirons les gaspillages. Vous évoquez une "éducation à la
consommation" : consommer mieux pour préserver les ressources
terrestres, dont nous savons qu'elles ne sont pas infinies. Je pense que
ce modèle marquera l'esprit des citoyens et changera les attitudes et les
habitudes de consommation.
Il
nous faut réformer les esprits et changer les mentalités.
Enfin, je veux ouvrir un nouvel acte de la
décentralisation, pour renforcer les pouvoirs et les dynamismes
locaux, et pour harmoniser les capacités et l'attractivité de
tous les territoires.
Quels sont les
penseurs et acteurs politiques qui vous ont le plus inspirés pour vos combats
politiques ? Hugo, Marx, Jaurès ? Et pour quelles raisons ?
E. M. : Tous les penseurs qui m'ont conduit à la pensée
complexe ont joué un rôle dans la formation de mes idées politiques.
Parmi eux je citerais Héraclite,
Montaigne, Pascal, Rousseau, Hegel, Marx, von Foerster. Tous les auteurs qui
m'ont "allergisé" à l'humiliation, en premier lieu Dostoïevski et le
Hugo des Misérables, et tous ceux qui m'ont fait aspirer à l'émancipation des opprimés ont
nourri en moi une sensibilité de gauche. Enfin, j'ai incorporé en moi
l'appel à
changer la vie de Rimbaud et de Breton.
Mes plus proches compagnons
en matière politique furent, depuis 1956, Claude Lefort et Cornelius
Castoriadis. Je
pense que toute pensée politique doit se
formuler à
partir d'un diagnostic pertinent du moment de l'ère
planétaire que nous vivons, y
concevoir une voie de salut, et y
situer une politique française. Je pense qu'il faut
dépasser les insuffisances et carences de l'idée de réforme et de révolution dans
la notion de "métamorphose", qui combine conservation et
transformation.
F. H. : L'oeuvre de Marx est encore utile pour
comprendre ce qu'est le capitalisme. Mais convenons qu'il a
changé de forme et de dimension. Jaurès est une des plus grandes références du
socialisme mais aussi de la République. Par son intelligence prodigieuse, par
sa
culture, par son élévation
d'esprit, par sa recherche obstinée de la synthèse. Je sais que la pensée
d'Edgar Morin aime
faire tenir
ensemble des antagonismes et
montrer en quoi, loin de s'
opposer, ils sont complémentaires. C'en est un bon exemple
: dans la vision que je me fais de la politique, la défense de l'idéal et
l'action dans le réel vont de pair.
C'est aussi ce que voulait
dire
Aimé Césaire dans sa magnifique formule :
"l'espérance lucide".
Victor Hugo, c'est le tumulte. La force de la colère et la lucidité. Quel sens
de la justice ! Le jeune dandy monarchiste et romantique est mort en grand
républicain en ayant résisté au despotisme, celui de
"Napoléon le
Petit", avec le courage d'
affronter
l'exil... Je me réfère aussi à
Albert
Camus, qui nous rappelle que le combat pour l'humanité doit être à chaque
instant répété.